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Entretien avec Mohammed Amine Benabdallah: L’autonomie du Sahara: quelle réalité et quels enjeux ?
(Liberation (Ma) 29/03/2006)


Pour mettre fin à un conflit qui dure depuis plus de trente ans, le Maroc proposera aux Nations unies l’autonomie
du Sahara. Cette actualité a conféré un intérêt certain
au forum maroco-allemand qui s’est tenu le 27 mars à Rabat organisé par l’ambassade d’Allemagne, la fondation Friedrich Ebert et la fondation Hans Seidel sur le thème "le fédéralisme et la régionalisation dans le contexte allemand et
européen". Un débat dense a eu lieu sur notamment les
compétences exercées par le centre et la région et les
critères d’appartenance à une région et les similitudes
ou différences avec le Maroc où la question de fond peut être posée en ces termes: "Comment faire la région du Sahara sans défaire le Maroc" ? C’est la réflexion que l’on retrouve en filigrane dans cet entretien que nous a accordé Mohamed Amine Benabdallah, professeur de droit public qui a animé le forum maroco-allemand.


Libé: L’expérience des landers allemands a été longuement déclinée par le professeur Christian Starck de l’université de
Gottingen, au cours de ce forum. Un mot peut-être sur l’intérêt que l’on porte à ces landers qui répondent, on l’a vu, à une histoire bien spécifique, celle de l’Allemagne ?

Mohamed Amine Benabdallah: Nous avons une longue histoire avec les landers, depuis le discours de 1984 de feu Sa Majesté Hassan II. Il y a eu plusieurs colloques sur ce thème et l’actualité de nos provinces du sud nous pousse à mieux sérier la question de la régionalisation qui se décline sous différents modèles. Une des conclusions du colloque, c’est qu’il ne peut pas y avoir un seul modèle de régionalisation, et qu’aucun d’entre eux ne peut être transposable dans la mesure où il est le résultat d’une histoire, d’une culture, d’un environnement spécifique à chaque pays.
En Allemagne, il y a 16 landers qui assument leur propre responsabilité étatique, avec un pouvoir exécutif, législatif et judiciaire.
Ce qui est le résultat d’une longue tradition. Les landers sont nés en 1871, avec l’unité de l’Allemagne de Bismarck et jusqu’à aujourd’hui, la carte géographique du pays a beaucoup bougé notamment avec la réunification de l’Allemagne qui a vu l’intégration de cinq nouveaux landers et la réunification de la capitale Berlin. Il y a aussi cette question de répartition des tâches entre la fédération et les landers qui est une pièce maîtresse des relations entre le Bundestag et le Bundesrat, comme l’ont souligné les intervenants dans le système de la séparation et d’équilibre des pouvoirs. Le système a été forgé par l’histoire de ce pays qui ne ressemble à nulle autre histoire.
Revenons à notre histoire qui se passe dans un tout autre contexte.
Revenons à l’histoire et au contexte actuel qui sont liés. La question de l’autonomie passe indéniablement par celle d’une politique de régionalisation non pas administrative, mais constitutionnelle, c’est-à-dire à la lisière de la décentralisation et du fédéralisme. L’idée n’est pas récente au Maroc. Toute proportion gardée, elle a connu une application constante pendant plusieurs siècles dans ce qu’était le bled makhzen et le bled siba. Les historiens enseignent que ce qui faisait la force de l’Etat central, le Makhzen, c’était sa capacité à gérer les innombrables tribus qui aspiraient à une autonomie de fait pour tout ce qui concernait la gestion de leur quotidien. Il fallait assurer l’unité du pays, tout en leur reconnaissant une certaine autonomie puisque ces tribus s’administraient elles-mêmes sur le plan du quotidien. A cet égard, et depuis lors, le Maroc est passé par plusieurs étapes. Dans le Maroc traditionnel, l’existence de plusieurs formes de pouvoirs disposant d’une grande latitude d’action et d’une large autonomie faisait que l’exercice de l’autorité administrative n’était pas fixe en ce sens que cette autorité était tantôt entre les mains du pouvoir central ou ses représentants, tantôt entre celles des tribus qui l’assuraient par l’intermédiaire de la jemâa à la tête de laquelle il y avait un Amghar et qui était soumis à la Charia porté par les Sultans avec l’assentiment des oulémas. Il y avait donc des normes de base pour tout le Maroc mais dans chaque région, dans chaque tribu il y avait des traditions spécifiques et reconnues par le pouvoir central.

L’aspect symbolique, disiez-vous de cette réalité, c’est le cheval sur lequel les rois étaient constamment assis pour faire la tournée des régions ?

On a coutume de dire que le trône était sur la selle du cheval de Moulay Hassan. Lorsque le père de ce dernier est mort à Marrakech, Moulay Hassan était en mission dans la région de Moulay Zidouh. Avec le protectorat, période où la centralisation fut érigée en credo sacro-saint pour la soumission de l’ensemble de la population à l’idéologie coloniale, le système en place va être conservé mais habilement intégré dans une structure d’encadrement correspondant aux intérêts du colonisateur. La stratégie de sa conception doctrinale et militaire s’est concrétisée pour des raisons purement de contrôle efficace de la population dans la division du pays en régions où la centralisation politique de la décision relevait en réalité du Résident général.
Au lendemain du recouvrement de l’Indépendance, se fait jour une démarche nouvelle qui se caractérise par le souci d’instaurer une cohésion structurelle et fonctionnelle aux fins de consolidation de l’autorité de l’Etat. Mais le développement économique et social a nécessité le fait d’opter pour une décentralisation progressive où la tutelle constamment présente tend à s’amenuiser au fil des expériences dans le but d’établir plus tard une régionalisation réelle aux aptitudes parfaitement adaptées aux besoins du développement local dans le cadre de l’unité nationale. C’est dire que depuis le découpage de 1971 du pays en sept régions économiques, puis en 16 régions avec la réforme de 1997, le Maroc a été bien conscient que ce n’était là qu’une étape transitoire pour s’orienter à terme vers une autre forme de régionalisation qui dépasse l’économique pour atteindre le politique. En ce sens, dans la révision constitutionnelle de 1992, la région est érigée en collectivité locale et un nouveau statut lui est attribué par la loi du 2 avril 1997.
Actuellement, c’est encore une nouvelle configuration de la région qui se profile, une forme qui coule dans le moule de l’autonomie, une option qui va sans doute dans le sens de la solution à un problème actuel pour ne pas dire conjoncturel, mais qui s’inscrit cependant dans le cadre d’une politique de régionalisation annoncée déjà dans le discours Royal du 29 octobre 1984. Il s’agit d’une régionalisation dont l’assise est constitutionnelle dans la mesure où elle institue des instances aux attributions législatives et exécutives très étendues, mais qui ne peut demeurer fidèle à son appellation que si elle s’exerce dans les limites de la souveraineté nationale.
Au cours du Forum maroco-allemand, le professeur Sholler a présenté le fédéralisme et la régionalisation en Europe en distinguant en Europe, grosso-modo trois niveaux régionaux en dessous de chaque Etat membre. Vous êtes professeur de droit public, comment à la lumière du droit comparé, peut-on appréhender cette notion d’autonomie régionale ?
Il ne s’agit pas de fédéralisme qui postule la coexistence, sur un même territoire, d’un Etat fédéral et d’Etats membres. Un nombre important de pays adopte ce système: les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Inde, la Confédération helvétique, le Brésil, le Canada, le Mexique, etc. Et il ne s’agit pas non plus d’une décentralisation administrative.
La régionalisation constitutionnelle implique que c’est le constituant qui consacre l’existence de circonscriptions régionales en les dotant d’une organisation propre à l’exercice de compétences qui touchent aux intérêts spécifiques de la région. C’est un type intermédiaire entre la décentralisation administrative où les attributions ne concernent que la gestion administrative de la collectivité et le fédéralisme où les attributions dépassent de loin cette forme de gestion.

Vous évoquiez le discours de Feu Hassan II qui disait que "tout est négociable sauf le timbre et le drapeau". Qu’est-ce qu’une régionalisation exige sur le plan constitutionnel ?

C’était un générique , une manière de parler. Le Drapeau, c’est la représentation internationale et le timbre c’est l’identité. Si vous bandez les yeux à un Marocain, disait le roi Feu Hassan II, et lui demandez dans quelle région il se trouve, il devrait retrouver cette région car chacune a des spécificités. Il faut se garder des artifices. Il ne fait pas de doute qu’une régionalisation qui s’inspire des modèles européens que j’ai évoqués doit nécessairement emprunter la voie de la révision constitutionnelle tant il est vrai que ce n’est que sur cette base que peut avoir lieu la répartition des compétences législatives entre ce qui relève de l’Etat et ce qui relève de la région, comme, du reste, elle est un passage obligé pour introduire toutes les règles régissant les relations entre l’Etat et la région. Et ainsi, si cette régionalisation est effective, elle ne fera que ressusciter certains traits des vieilles structures du Maroc traditionnel. Néanmoins, une évidence demeure : celle que si la régionalisation dépasse le cadre de ce qui est universellement admis et pratiqué ici et là, il ne s’agira plus alors d’autonomie, mais bel et bien de la création d’un Etat non pas dans l’Etat mais en parallèle avec lui ! En somme, tout ce qu’il y a de plus indiqué pour tenir en éveil le problème existant dans une région où les frontières restent incertaines et où les vieux démons pourraient ressurgir et nourrir davantage le syndrome de la mésentente en transformant la région tout entière du Sahara en zone de conflit.


Propos recueillis par Farida Moha

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